Son départ marque la fin d’une époque mais surtout donne les clés du pouvoir à sa fille Keiko Fujimori, tout aussi corrompue. L’ancien dictateur, grand responsable de la situation politique actuelle, a suscité jusqu’à sa mort de la haine ou de l’adoration.
Pour comprendre cet antagonisme émotionnel des Péruviens envers le président disparu mais aussi envers son héritière Keiko, il faut remonter au milieu du XXe siècle. En effet, le parcours constitutionnel du Pérou est loin d’être un long fleuve tranquille ; de 1945 à 1990 vont se succéder des dictatures et des démocraties, rythmées par des coups d’État comme celui de 1968 par Juan Velasco Alvarado, célèbre pour avoir nationalisé une grande partie de l’économie péruvienne et avoir aboli le féodalisme agraire.
Dans les années 1980 le Pérou a vécu sa plus grande guerre civile faisant plus de 70 000 morts entre le Parti communiste du Sentier Lumineux, le MRTA (Mouvement Révolutionnaire de Tupac Amaru) et les différents gouvernements péruviens libéraux. C’est dans ce contexte que Alberto Fujimori sera élu en 1990 président de la république.
Le temps de la dictature, populiste et autoritaire
« El Chino », surnom donné à ce président pour ses origines japonaises, embrassa dès le début de son mandat une politique populiste et autoritaire avec un tournant néolibéral brutal de l’économie (soutenu par le FMI). Il réalisa en peu de temps de nombreuses privatisations, dévalua la monnaie et provoqua des licenciements de masse. Cette politique aura eu pour conséquence de stabiliser l’économie mais au détriment de populations toujours plus pauvres, en faveur d’une élite corrompue (Alberto Fujimori sera d’ailleurs l’un des chefs d’Etat les plus corrompus de son temps).
En 1992, l’autoritarisme de ce président ira jusqu’à un « auto coup d’Etat » envers son propre gouvernement face au blocage du parlement dont il dissout la chambre des députés. Dès 1993 il mettra en place une constitution libérale à son image teintée d’austérité budgétaire, de privatisations et d’un recul des droits en faveur au marché international. Le dictateur aura alors toutes les cartes en main pour imposer sa vision.
Tout en détruisant l’émergence d’un État providence péruvien, il s’attaqua immédiatement aux révolutionnaires armés du Sentier Lumineux et du MRTA, faisant grimper le niveau de violence dont les populations civiles furent les premières victimes. Par crainte d’une montée du communisme et du socialisme au Pérou, le président dictateur combattit avec rage ces guérillas armées. Pour cela, il n’hésita pas à bafouer de nombreux droits et de nombreuses libertés : jugements et assassinats arbitraires, tortures, incitations à la guerre civile entre paysans et révolutionnaires, manipulations, corruptions, contrôle des médias et de la presse, jusqu’à la stérilisation forcée de 330 000 femmes et 25 000 hommes dans une quête eugénique pour réduire les populations défavorisées.
La fin du règne
En 2001, inquiété par l’ensemble des violences de son règne pour des histoires de corruption, de meurtre, de kidnapping et pour crimes contre l’humanité, Alberto Fujimori fuya le Pérou direction le Japon. Arrêté au Chili en 2005, il fut extradé vers son pays natal en 2007 afin d’être condamné définitivement à 25 ans de prison pour violation des droits de l’homme, sans compter les différentes condamnations pour écoutes illégales, corruption et détournement de fonds.
Après 13 ans sous les barreaux, grâce à la complicité de la présidente actuelle Dina Boluarte, « El Chino » sera libéré en 2023 suscitant l’indignation de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et du Haut-commissariat des Nations Unies. C’est donc libre qu’il finira par mourir ce mercredi 11 septembre des suites d’un cancer à la langue, sous les larmes de ses partisans et les cris de colère de ses détracteurs. En effet, les familles de victimes des atrocités commises durant les années 1990 n’auront jamais eu le droit à un véritable procès.
Malgré toutes ses exactions, il resta fortement populaire grâce à l’usage de vieilles recettes populistes telles que la lutte contre les élites intellectuelles, le rejet de la politique traditionnelle ou encore le soutien à l’économie souterraine… A tel point que la présidente Boluarte décréta trois jours de deuil national, violente gifle infligée à la mémoire de ses victimes et au respect des droits humains.
Héritage inquiétant du Fujimorisme
Le dictateur laisse derrière lui un courant politique appelé « Fujimorisme » doté d’une idéologie d’extrême-droite, xénophobe, populiste, capitalise et néolibéral. Sa fille Keiko Fujimori, fière représentante de ce courant, a su comme son père conquérir le cœur d’une grande partie des péruviens à travers un discours falsifié et rétrograde, soutenu par la classe médiatique et la communauté internationale.
Après deux candidatures infructueuses à la présidentielle, elle perdit la dernière élection en 2021 avec seulement 44 000 voix d’écart face à Pedro Castillo, professeur des écoles, candidat du parti marxiste et populaire Pérou Libre.
Suite à l’emprisonnement de ce dernier pour un coup d’Etat avorté aux contours bien flous, la présidente actuelle Dina Boluarte déroule désormais le tapis rouge à Keiko Fujimori, lui assurant une possible victoire aux prochaines élections présidentielles de 2026.