Dès notre arrivée à New York dans le cadre de la 68ème édition du CSW, nous avons commencé par chercher l’inspiration, mais surtout par rendre hommage à plus grand que nous, à une source d’inspiration, à un parcours singulier dans l’Histoire de par sa puissance mais aussi sa résilience pour la lutte contre l’esclavage, en nous rendant quasi-immédiatement devant la statue d’Harriet Tubman. Notre arrivée coïncidait avec le 111ème anniversaire de la mort de cette infatigable militante abolitionniste, antiraciste et féministe, connue pour avoir risqué sa vie pour permettre l’évasion de personnes réduites en esclavage et pour s’être battue pour le droit de vote des femmes. Le moment était des plus opportuns pour lui rendre hommage.
Notre présidente de groupe à l’assemblée nationale, Mathilde Panot, a emprunté ces mots d’Harriet Tubman : « Si vous entendez les chiens, continuez. Si vous voyez les torches dans les bois, continuez. S’il y a des cris après vous, continuez. Ne vous arrêtez jamais. Continuez. Si vous voulez goûter à la liberté, continuez. »
Ces mots résonnent encore après plus d’un siècle dans le cœur de tous les opprimés, et notamment dans celui de toutes les femmes qui veulent qu’advienne enfin la reconnaissance pleine et entière de leurs droits.
Pour les féministes du monde entier, la CSW, qui en elle-même se veut très consensuelle, est avant tout un moment stratégique pour se rencontrer et se retrouver. Les causes et les luttes du monde entier coïncidaient autour des bâtiments de l’ONU et s’échangeaient des conseils, des méthodes et des combats. On pouvait notamment y croiser des militantes de l’Articulación Feminista Marcosur, qui réunit des féministes de onze pays d’Amérique du Sud et qui fait partie intégrante de l’Internationale féministe, impulsée par des féministes mexicaines et co-fondée par notre collègue et camarade Sophia Chikirou. Daptnhe Cuevas, l’une de ces féministes mexicaines, s’enthousiasme pour les élections à venir au mois de juin : « Nous avons deux femmes qui se présentent à la présidence du Mexique, dont une femme très progressiste. Les sondages donnent cette candidate de gauche vainqueure. Ce serait à la fois une victoire politique et une victoire du genre féminin. » De façon générale, elle évoque des avancées en matière de parité dans le monde politique de son pays. Francisca, féministe chilienne, évoque au contraire ses craintes face à l’échec de la constituante et au regain de puissance du côté de la droite, qui la rendent pessimiste pour les élections de 2025. Elle redoute des reculs pour les droits des femmes, notamment en matière d’accès à l’avortement. En 2022, le Chili était pourtant à deux doigts d’inscrire ce droit dans la Constitution.
Les militantes saluent d’ailleurs avec force la victoire que nous avons arrachée en France à ce sujet. Malgré les tentatives d’Aurore Bergé de faire oublier que nous la devons à notre présidente Mathilde Panot, notamment par le biais d’un événement l’évinçant des intervenants, nombreuses sont les féministes engagées sur le sujet qui n’ont pas oublié que La France Insoumise était bien seule à réclamer l’inscription de ce droit dans la constitution il y a de cela quelques années. Ceci étant, la victoire sur le sujet de l’avortement en France est loin d’être complète. Il reste à garantir l’application concrète de ce droit, et Sarah Durocher, présidente du Planning Familial, souligne : « Depuis une semaine, nous avons subi trois attaques à l’encontre de nos antennes. Ce sont « juste » des tags, mais imaginez un peu ce que ressent une femme qui vient nous voir et qui lit sur les murs que l’avortement est un meurtre. Les antichoix sont vraiment actifs en ce moment, et ça ne nous rassure pas. »
En vérité, il reste encore bien des combats féministes à mener en France, comme partout ailleurs. Et c’est d’ailleurs lorsqu’on croit que le combat est fini, lorsqu’on a l’impression d’être intouchables, que les forces réactionnaires attaquent et nous font reculer. Le mieux pour maintenir notre héritage progressiste, c’est de rester toujours en mouvement. Au siège d’ONU Femmes, une de nos interlocuteurs nous appelle d’ailleurs à l’humilité : « Les pays du G7 n’ont pas de leçons à donner aux autres en matière de féminisme. Au Japon, par exemple, il y a un fossé entre le développement économique et les inégalités entre les femmes et les hommes. » Ce qui n’est pas sans me rappeler ma rencontre avec les féministes japonaises en octobre dernier. Un autre de nos interlocuteurs ajoute : « La France se revendique leader en matière de diplomatie féministe, mais on observe une grande différence entre les paroles et les actes. » Ces propos ont trouvé de l’écho dans mes échanges avec des représentantes de l’ONG tunisienne Aswat Nissa, dont le plaidoyer vise à intégrer une approche genrée dans les politiques publiques et à encourager les femmes tunisiennes à prendre la place qui leur revient dans la vie publique et politique : « Nous devons dépasser le clivage Nord / Sud, et défendre ensemble un féminisme décolonial, où toutes les femmes seraient égales les unes aux autres, quelle que soit leur situation géographique. » Avec ces représentantes d’Aswat Nissa, nous avons aussi beaucoup discuté de la présence conséquente de la question palestinienne à la CSW, à travers le sujet des violences, notamment sexuelles, perpétrées à l’encontre des Palestiniennes à Gaza, mais également en Cisjordanie : « Nous avons assisté à une conférence menée par la ministre palestinienne de la condition féminine, et toute la salle a fondu en larmes face à son témoignage. C’était très dur à entendre. Nous ne comprenons pas pourquoi les pays occidentaux ne prennent pas la mesure du drame qui se joue. Heureusement que des voix comme celles de La France Insoumise font entendre un autre son de cloche. »
Lors d’un des événements de la CSW, j’ai moi-même eu l’occasion d’assister aux témoignages de Palestiniennes, notamment deux jeunes Gazaouies, membres du PWWSD. L’une d’elles, Rana, nous a fait écouter, en larmes, un enregistrement pris avec son téléphone. Nous entendions des tirs et des cris de femmes apeurées : « Pardonnez-moi de vous infliger cela, mais moi, c’est ce que j’entendais tous les jours. » Kifaya Khraim, avocate basée à Ramallah, qui est intervenue à leurs côtés, nous a évoqué des accouchements difficiles, tels que celui d’Ala. Terrifiées par le phosphore blanc et les fumées chimiques résultant des bombes lancées sur Gaza, Ala et sa famille ont fui et se sont abritées dans une école, où 40 personnes se sont concentrées dans une seule salle de classe. Lorsqu’Ala a perdu les eaux, la famille n’avait aucun téléphone pour contacter une ambulance, et ils ont dû se débrouiller avec difficulté pour accéder à un hôpital. Quand l’enfant est né, Ala et lui n’ont pas pu se laver durant des jours. Elle n’a pas pu avoir accès au moindre produit sanitaire, au moindre médicament, au moindre soin post-partum, au moindre lait infantile. En écoutant toutes les conséquences du massacre à Gaza à l’encontre des femmes, je n’ai pu m’empêcher de repenser à ces mots d’une de nos interlocutrices d’ONU Femmes, qui a souligné le caractère décevant de la participation des femmes aux négociations de paix : « Les femmes ne représentaient que 16% des délégations des parties au conflit dans les processus de paix menés ou co-menés par l’ONU en 2022, contre 19% en 2021, et 23% en 2020. Même lorsqu’elles sont exclues des négociations de paix et des lieux de pouvoir, les femmes sont souvent célébrées pour avoir construit la paix depuis le début. Toutefois leurs réussites sont souvent méconnues et ne bénéficient que de peu de soutien. »
Les limites de notre vision du féminisme sont palpables au CSW : en proie à l’ethnocentrisme, si la France n’intègre pas l’urgence du féminisme à son échelle comme à celle du monde entier, le conservatisme ne fera qu’une bouchée de nos acquis. Et si l’Occident ne prend pas conscience de l’importance que ce féminisme soit décolonial, nous ne comprendrons jamais les oppressions que subissent de nombreuses femmes dans le monde, en y ajoutant celle qu’on leur impose.