Chaque rue à Rabat donne l’impression de traverser un grand boulevard, non en raison de la taille de la ville, mais en raison de ce qu’elle dégage : un espace animé, développé, ouvert sur le monde. Tant de cultures s’entremêlent entre l’héritage berbère, le monde arabe et une francophonie singulière au sein du Maghreb : toutes sont palpables et toutes se mélangent.
En quelques années et à une vitesse exceptionnelle, le Maroc est entré dans une autre phase de son histoire, avec un important développement de l’entièreté de ses services publics ainsi que de son industrie. Cette modernisation a un impact économique certain mais influe aussi sur la quête de libertés : les aspirations des féministes marocaines à plus d’égalité se sont largement renforcées.
Lors de son déplacement au Maroc à l’invitation du PPS de Nabil Benabdellah en octobre 2023, Jean-Luc Mélenchon a expliqué que la France devrait s’inspirer du réseau d’entraide et de solidarité mis en place par le Maroc suite au séisme meurtrier d’Al Haouz. Cette méthodologie doit être la nôtre dans tous nos combats : lutter contre l’impérialisme et le colonialisme, c’est aussi une lutte contre notre manière de faire de la politique. Ce n’est pas exporter nos idées et nos moyens partout dans le monde comme si nous avions la bonne recette, mais c’est s’inspirer de la créativité et des forces vives qui animent la lutte pour les libertés partout dans le monde. C’est le sens de l’Internationale Féministe co-fondée par des féministes mexicaines et par Sophia Chikirou en Mars 2023 à Mexico : il s’agit de prôner un féminisme décolonial, qui lutte pour l’émancipation des femmes partout dans le monde mais aussi contre une vision unique et purement occidentale de cette lutte.
Lorsque nous nous sommes rendus au Maroc en février 2023, notre visite s’est inscrite durant les négociations pour la réforme du code de la famille, qui a été initiée par le roi Mohamed VI en septembre 2023 et qui est censée aboutir sur d’importantes avancées pour les femmes marocaines. Des organes féministes les plus institutionnels aux plus radicaux, tous attendent beaucoup de ce projet de réforme.
Pour la députée socialiste Salwa Demnati, les forces progressistes ont un rôle majeur à jouer dans cette période : « Notre rôle est de faire des propositions, en concertation avec les groupes politiques progressistes, pour faire avancer l’égalité entre les hommes et les femmes marocaines ! »
En nous faisant visiter l’assemblée nationale marocaine à ses côtés, Salwa Demnati nous confie que cette réforme ne sera probablement pas à la hauteur des espérances, mais qu’elle incarnera sans doute une avancée considérable pour les femmes marocaines. L’histoire moderne du Maroc semble donner raison à la députée de l’Union socialiste : en 2004, un nouveau code de la famille avait déjà offert à l’époque des avancées majeures aux Marocaines telles que la responsabilité conjointe des époux, des restrictions aux mariages des mineurs et à la polygamie, ou encore le droit pour les femmes de demander le divorce, ce qui avait été salué avec enthousiasme par les organisations de défense des droits humains et l’ensemble de la société civile.
Cependant, malgré l’objectif d’aboutir à un projet consensuel à travers les six mois de consultation initiés par le pouvoir royal, les islamistes sont vent debout contre une quelconque atteinte à la suprématie des règles religieuses : Al Adl Wal Ihsane, mouvance islamiste marocaine, interdite mais tolérée par le régime, appelle à « la suprématie du référentiel islamique ». Mais il est difficile pour les islamistes d’imposer un narratif religieux quand la proposition émane du Roi, qui a également le rôle de président du Conseil supérieur des Oulémas. Un conseil qui est le seul légitime au Maroc pour émettre des avis religieux.
L’espace de propositions laissé par le pouvoir royal a été investi par les féministes marocaines : l’association Kif Mama Kif Baba (Papa comme Maman) appelait déjà à une réforme de la Moudawana en octobre dernier, prônant une éradication totale du mariage des mineurs et de la polygamie, l’attribution de la tutelle des enfants aux mères ayant leur garde, ainsi que la reconnaissance du mariage d’une femme marocaine avec un non-musulman. Nous avons rencontré la fondatrice de cette association, Karima Nadir, qui se mobilise pleinement dans la campagne pour la réforme du code de la famille : l’ONG s’est associée à d’autres organismes féministes pour lancer une campagne de sensibilisation avec différentes personnalités publiques marocaines, allant de la culture au sport, pour appeler à une réforme ambitieuse et égalitaire du code de la famille.
Pourquoi la France n’est-elle pas aux côtés de ces organisations qui militent pour une égalité des droits ? Eh bien, car la France est loin d’avoir bonne presse et cela pour plusieurs raisons. « Même si on sent un léger réchauffement entre les pouvoirs marocain et français, il va falloir des garanties claires pour espérer retrouver une relation forte à l’avenir », analyse un journaliste marocain. Et cela, Jean-Luc Mélenchon en avait fait lui-même la demande dès son arrivée à Rabat en octobre dernier.
Pendant notre déplacement, le ministre des Affaires étrangères français Stéphane Séjourné s’est rendu à Rabat pour rencontrer son homologue Nasser Bourita, laissant entrevoir le début d’un dégel des relations. Mais pour les organisations qui luttent pour les droits des femmes au Maroc, la France déçoit aussi de par sa position molle face au génocide en cours à Gaza.
La Fédération des ligues des droits des femmes crée des centres de refuges partout dans le pays et milite pour mettre fin au mariage des mineurs ainsi qu’à la polygamie, mais le premier sujet qu’elles ont choisi d’aborder avec nous, c’est la situation à Gaza et à Rafah : « Les femmes et les enfants sont les premières victimes de ce massacre », répétaient les responsables, comme si elles avaient peur que cette information s’égare de la conversation pendant quelques secondes tant elle est primordiale. Et elle l’est, à tant d’échelles. Quand la diplomatie française refuse de le voir en faisant primer ses intérêts directs et immédiats, la France en paye le prix sur le temps long et rate des occasions historiques pour établir des partenariats avec des organisations et des acteurs qui militent pour les droits humains et pour l’égalité femme-homme. Notre silence nous coûte, partout dans le monde.