Seront-nous bientôt 9 milliards d’assoiffés ?
L’eau recouvre 71% de la surface du globe mais l’eau douce utilisable représente moins de 1% du volume total d’eau terrestre. Un tiers de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable. Pour ne rien arranger, le réchauffement climatique risque d’accentuer les pénuries d’eau dans un avenir très proche. Ainsi, les Nations Unies nous disent que 4 milliards de personnes vivront dans des régions en manque d’eau en 2030. Et de multiplier d’autant les conflits d’usage entre l’agriculture, l’industrie et les usages domestiques.
Si le manque d’eau est un drame bien documenté, l’eau insalubre est responsable de la mort d’un grand nombre de personnes chaque année. En 2017, plus d’1,2 millions de personnes en sont mortes. En cause : le manque de réseaux d’eau de qualité et de systèmes d’assainissement.
Selon un rapport de l’Unesco publié l’année dernière, 2,1 milliards de personnes sur la planète n’ont pas accès à de l’eau potable propre et disponible en permanence. 4 milliards ont été confrontées à de graves pénuries d’eau pendant au moins un mois au cours de l’année.

Le marché mondial de l’eau en bouteille se porte bien
Cette situation alarmante est surtout un juteux marché pour les multinationales. Moins le réseau d’approvisionnement fonctionne, plus il y a d’individus captifs de multinationales s’étant accaparées des sources d’eau pour pouvoir la vendre… en bouteille. Et à prix d’or ! Dans les pays où le réseau d’eau n’est pas déployé pour toute la population, cette clientèle captive est souvent la plus pauvre. Les inégalités sociales et environnementales se superposent. Ainsi, les habitants des bidonvilles doivent souvent acheter de l’eau en bouteille, à un prix 10 à 20 fois plus élevé que celui de l’eau courante.
Dans les pays développés, là où le réseau existe, les multinationales ont trouvé une autre parade. La privatisation progressive des sources couplée à un intense lobbying a produit un modèle économique extrêmement rentable.
Il l’est surtout pour les quatre sociétés qui dominent le secteur : la Suisse Nestlé, la française Danone et les américains Coca-Cola et PepsiCo. Le marché est très concentré : trois groupes détiennent 76% des parts de marché. Et leurs marges sont colossales : aux États-Unis, une fois mise en bouteille, le prix de l’eau peut être jusqu’à 133 fois plus élevé. La consommation d’eau en bouteille a pourtant triplée en vingt ans. En France, 4 verres d’eau consommés sur 10 proviennent d’une eau en bouteille. L’eau de source est en moyenne 47 fois plus chère que l’eau du robinet, et l’eau minérale peut l’être jusqu’à 100 fois plus. Une fois ces grandes entreprises bien installées, quel intérêt pour les gouvernements libéraux en place d’entretenir et d’étendre le réseau public ?
La marchandisation par le contrôle de l’eau et des esprits
D’abord, les multinationales contrôlent l’eau. Pour cela, elles privatisent les sources. Ou bien pompent directement dans les nappes phréatiques, jusqu’à les épuiser. Ces multinationales sont aidées dans leur entreprise par des politiques libérales qui leur facilitent la tâche. Partout dans le monde, des autorisations d’extraction leurs sont octroyées, prenant le dessus sur le besoin des populations.
Ensuite, elles contrôlent les esprits. La publicité pour l’eau en bouteille plastique présente son produit comme quelque chose d’hygiénique, qui serait adaptée selon les sources et leurs propriétés particulières à différentes catégories d’individus. Celle-ci pour les sportifs, celle-là pour les nourrissons…alors même que l’eau du robinet offre une consommation accessible à tous. La stratégie est bien rodée. Certaines publicités vont jusqu’à dévaloriser l’eau du robinet, insinuant qu’elle serait source de contamination. Lorsque l’eau courante est impropre à la consommation, c’est aux gestionnaires de réseau de s’attaquer à la source des problèmes, plutôt que de céder aux pressions des vendeurs d’eau en bouteille.
Un drame écologique
De A à Z, cette industrie pollue. Les conditionnements et les emballages de transport sont en plastique, le plus souvent non recyclable. Le transport des bouteilles est également source de gaz à effet de serre. Et la quête permanente de nouveaux marchés confine à l’absurde. En 2014, Evian inventa un nouveau format : la « goutte d’eau » minérale de 20 cl (l’équivalent d’un verre d’eau) pour étancher les petites soifs. « Nous voulons développer des occasions de consommation qui n’existent pas aujourd’hui et aller dans des endroits où il n’y a pas d’offre », explique alors Véronique Penchienati, directrice générale de Danone Eaux France. A quoi bon créer de toute pièce des « occasions de consommation » et des besoins artificiels mortifères ? 1 million de bouteilles en plastique sont produites chaque minute à travers le monde.
En France, ce sont 25 millions de bouteilles qui sont jetées quotidiennement, et moins de la moitié sont recyclées. A l’heure de l’urgence écologique, la pollution plastique est un fléau qui doit être un objectif de lutte prioritaire. Le combat contre l’eau en bouteille en fait partie.
L’eau, un bien commun
L’eau est trop précieuse pour être laissée à des multinationales soucieuses de leurs profits davantage que des équilibres écologiques. En Californie, régulièrement en proie à des incendies géants, Nestlé extrait de l’eau dans une forêt déjà touchée par la sécheresse. Dans le Michigan, la même entreprise a été autorisée à pomper au rythme de 1500 litres par minute. A Vittel, dans les Vosges, Nestlé Waters privatise la nappe phréatique. Mais plus en plus de citoyens s’attaquent juridiquement à ces multinationales et contestent leurs procédés, des Vosges au Michigan. La défense de l’eau, en tant que bien commun, est également au cœur de plusieurs révolutions citoyennes, comme au Chili ou en Irak en 2019. Que les protestations contre la privatisation de l’eau et le marché de l’eau en bouteille se multiplient est un bon signe. Car l’eau n’appartient à personne, mais elle est l’affaire de tous.